Elections présidentielles en Turquie : un plébiscite pour Erdogan ?

Ozgecan Abdulazizoglu et Simon Bouchet
10 Aout 2014


Ce dimanche 10 août, les Turcs désigneront pour la première fois leur président au suffrage universel direct. La fonction de président de la République turque n’était jusqu’à présent qu’essentiellement symbolique, l’Assemblée nationale détenant la majeure partie des pouvoirs décisionnels, et celui de choisir le président. Selon la constitution de 1982, ce dernier a néanmoins quelques responsabilités : nomination des recteurs, des membres du Haut Conseil des juges et des procureurs, du Conseil d'état, de la présidence du Conseil de sécurité nationale, possède un droit de véto et le pouvoir de proposer des référendums.


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C’est en 2007 que le mode de désignation du président a changé, après l’organisation par le parti au pouvoir, l’AKP (Parti de la Justice et du Développement), d’un référendum. Cette modification de la Constitution, ardemment souhaitée par le Premier ministre actuel Recep Tayyip Erdoğan, permettra certainement au Président de la République de devenir la figure majeure du paysage politique turc. Les trois candidats – Erdoğan pour l’AKP, Ekmeleddin İhsanoğlu, (CHP, Parti Républicain du peuple – MHP, Parti d’action nationaliste) et Selahattin Demirtaş (BDP, Parti pour la paix et la démocratie) pour l’opposition – ont ainsi livré une campagne d’une forte intensité, caractérisée par la mise en avant de leur personnalité et de leur vie privée. Nous nous proposons ici, afin de rendre compte des enjeux d’un moment indéniablement crucial de l’histoire contemporaine de la Turquie, de présenter succinctement les lignes de clivages entre les trois prétendants.

Ihsanoglu : un religieux à la tête des laïques

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Le candidat conjoint du CHP (parti « kémaliste », centre-gauche) et du MHP (parti nationaliste), Ekmeleddin Ihsanoğlu, est à l’origine un universitaire et diplomate. Malgré son expérience importante dans le cadre international (il fut notamment secrétaire général de l’Organisation de la Coopération Islamique), il n’est devenu célèbre qu’après son investiture en tant que candidat. Son intronisation a provoqué un fort étonnement parmi l’électorat du CHP et du MHP. Pour les électeurs du premier, Ihsanoğlu était considéré comme beaucoup trop islamiste ; pour les seconds, pas assez nationaliste. Né en Egypte et fils d’un théologien qui a quitté la Turquie après la révolution kémaliste (dont se réclament le CHP et le MHP), il n’incarne pas, pour la plupart des électeurs traditionnels des deux partis concernés, les caractéristiques de la Turquie de Mustafa Kemal Atatürk. 

Pendant la campagne, Ihsanoğlu s’est évertué à tenter de démontrer, notamment en mettant largement en avant sa famille, qu’il était attaché aux principes de la Turquie laïque et « moderne ». Il a insisté sur son intention d’être le président de tous les Turcs, de pérenniser l’unité du pays, de garantir les droits des minorités, tout en perpétuant les principes de la révolution turque. 

Demirtaş : un pro-kurde pour incarner l’opposition de gauche

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Le deuxième candidat, Selahattin Demirtaş, est socialiste et pro-kurde. Ancien avocat, il est actif dans la vie politique turque depuis longtemps. Son parti, le BDP, seul parti qui représente les Kurdes à l’assemblée, se réclame de la gauche, voire de l’extrême gauche. Demirtaş est pour cette raison considéré, par les communistes et les socialistes, comme étant le candidat incarnant la réelle opposition à Erdoğan. Il propose la démocratisation de la Turquie et la prise en compte de toutes les minorités du pays, et met en avant son ancrage au sien de la société : ses discours sont dynamiques et s’adressent aux jeunes, il connaît très bien la vie politique, est très célèbre et vit modestement. Il est toutefois critiqué par certains partis de gauche et par les Alévis, souvent discriminés en Turquie, qui lui reprochent de donner trop d’importance à la défense du peuple kurde et de ne pas s’être montré suffisamment solidaire du mouvement d’opposition au gouvernement qui a secoué la Turquie l’année dernière.

Erdogan : l’archi-favori

Le dernier candidat est l’actuel chef du gouvernement, Recep Tayyip Erdoğan. Premier ministre depuis 2003, il veut devenir président de la République et transformer la fonction, la renforcer. Il a souvent fait l’éloge d’un régime présidentiel, mettant en avant le fait que les régimes d’assemblée sont caractérisés par la lenteur de la prise de décision et l’inefficacité de l’action publique. Malgré le rôle minime attribué par les textes à la fonction présidentielle, il veut être un président actif. Après son élection, il compte sur une victoire aux prochaines législatives pour pouvoir modifier en ce sens la Constitution.

Depuis l’année dernière, l’opposition au Premier ministre fait plus de bruit, et est relayée dans les médias occidentaux. Rêvant d’une Turquie forte et ancrée dans le monde islamique, s’appuyant sur une jeunesse « pudique et religieuse », il est souvent critiqué pour son autoritarisme et son conservatisme. Malgré les affaires de corruption de ces derniers mois, et la tension avec la très puissante congrégation de Fetullah Gülen, qui l’a porté au pouvoir, Erdoğan sera probablement élu président de la République, et sûrement très facilement. Depuis son arrivée au pouvoir, la Turquie a connu un développement économique sans précédent, a engagé de nombreuses réformes allant dans le sens d’une adhésion à l’Union européenne, et a conclu un accord de paix avec la guérilla kurde du PKK. 

Brillant orateur et très aimé au sein des classes populaires, il sera, selon les derniers sondages, élu dès le premier tour. Un deuxième tour est programmé, au cas où, le 24 août.